Auteur : Lina Alami
Le Design Thinking est-il réellement une pratique innovante d’innovation ?
Le Design Thinking est certainement le concept de conception innovante le plus en vogue actuellement. Sa théorie et ses valeurs sont séduisantes. Néanmoins, c’est celui dont j’ai le moins appris.
A côté des méthodes propres au design, nombre des techniques majeures qu’il défend sous le terme de « pensée design » sont inspirées ou directement empruntées au monde du marketing et de la communication comme le principe de divergence / convergence, la technique du Brainstorming ou celle du Storytelling :
- Le précepte ‘divergence / convergence’ est, à mon avis, directement issu du Creative Problem Solving, inventé par un collaborateur d’une agence de publicité américaine dans les années 60, lui-même inspiré de la technique du Brainstorming développée par le vice-président de cette même agence, Alex Osborn, 30 ans plus tôt.
- Quant au Storytelling, il a été déployé par les multinationales américaines avec l’aide des hommes de communication dans les années 90. Selon Christian Salmon, son origine serait encore plus éloignée puisqu’il propose dans son livre Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits que le père fondateur du Marketing Narratif soit le neveu de Sigmon Freud, Edward Bernays.
Pour autant, il est un des concepts de référence de la conception innovante. Il constitue une source concentrée de bonnes pratiques de designers, de marketeurs, de communiquants ou encore de celles qui font le lien entre ce qu’on appelle communément la technique et le marketing. De plus il s’agit d’un concept centré sur l’humain dont les valeurs portées font sens dans ce XXIème siècle. C’est pourquoi, bien que vous me lirez critique dans ce premier article de la série que je consacre au Design Thinking, je choisi tout de même de présenter cette pratique.
Tim Brown, le père d’adoption du Design Thinking
Le Design Thinking a été développé dans les années 80 par Rolf Faste mais il a fallu attendre les années 2000 pour qu’il soit popularisé aux Etats Unis par IDEO sous l’égide de Tim Brown, Designer de formation. Depuis, il s’agit d’un concept en plein essor. Il prétend tend à couvrir tous les objets de l’innovation (produit, service, expérience, organisation), tous les leviers de l’innovation (technique, organisationnel, communication, marketing, financier) et toutes les phases de la conception innovante (de l’avant projet à la mise en marché). Il a ses adeptes et fait des émules en entreprise comme dans l’enseignement. Les entreprises en testent aujourd’hui certaines pratiques et les écoles commencent à fleurir.
Le Design Thinking est un concept encore en mouvement et chacun y ajoute ou en retire des briques. Ainsi, si vous cherchez ses méthodes, ne soyez pas surpris de découvrir de multiples approches qui focussent sur un pilier ou un autre et qui détaillent plus ou moins les étapes du process. On compte facilement aujourd’hui au minimum six processus différents qui semblent s’établir.
Définition officielle du Design Thinking
La définition officielle du Design Thinking donnée par Tim Brown serait celle-ci : « Le Design Thinking est une discipline qui utilise la sensibilité, les outils et méthodes des designers pour permettre à des équipes interdisciplinaires d’innover en mettant en correspondance attentes des utilisateurs, faisabilité technologique et viabilité économique. »
Le Design Thinking, à la conquête du monde
Pour plus de clarté sur les visées du Design Thinking nous pouvons dire que c’est à la fois un état d’esprit et une discipline qui promeut l’art d’appliquer les méthodes de conception des designers à tous les champs de l’innovation et d’étendre sa pensée et sa portée à toute l’organisation de l’entreprise et à tous les métiers la constituant. Que l’on adhère ou non à l’idée qu’un concept unique régisse tous les rouages d’une organisation ou plus largement encore d’un système tout entier, des hommes à l’objet, en passant par les processus et plus encore*, on ne peut que soutenir la démarche initiale qui consiste à mettre l’innovation au cœur de la stratégie de l’entreprise comme facteur de croissance.
* Plus encore ? Oui. Dans le livre L’esprit Design de Tim Brown traduit de la version américaine Change by design, il explique pourquoi le Design Thinking devrait : « inspirer des solutions applicables au monde entier ».
Il vous propose également de concevoir votre vie comme un projet design et de l’envisager comme s’il s’agissait d’un prototype. Le prototype étant une valeur chère au Design Thinking. Vous trouverez dans le chapitre ‘le design de l’avenir commence aujourd’hui’ au paragraphe intitulé ‘le design d’une vie’ la réflexion suivante : « La pensée design prend ses racines dans la formation et dans la pratique professionnelle des designers mais tout le monde peut mettre en œuvre ses principes et ils sont applicables à de multiples domaines. La différence est considérable selon que l’on choisit de planifier sa vie, de la subir ou de la concevoir comme un projet design. (…) Avant toute chose, envisagez votre vie comme s’il s’agissait d’un prototype. (…) »
Vous l’aurez compris, je limiterai pour ma part le champ d’application du Design Thinking au processus et au résultat de ce qui est produit par les entreprises ou autres organisations formelles.
Le Design Thinking, une belle histoire à (se) raconter
Le Design Thinking est donc un état d’esprit et une méthode qui propose de déployer les outils de conception des designers pour innover sur tous les champs et dans tous les domaines avec une approche interdisciplinaire centrée sur l’humain, à base d’observation du Monde, d’expérimentation, de Brainstorming et de Storytelling.
Pour ma part, j’adhère à l’idée de centrer l’innovation d’abord sur le facteur humain et d’utiliser la technologie en support. J’approuve l’intégration de la création de valeurs pour tous les acteurs de la chaîne dès le début du processus de conception. J’aime l’idée de s’intéresser au cycle entier de la vie d’un produit, de la source de la matière première à la fin de sa vie à la façon de « l’emballage d’une banane se transformant en nutriment pour les arbres de la génération suivante ». Et je cautionne la plupart des techniques exploitées par le Design Thinking.
En revanche, je ne souscris pas à l’ampleur des champs d’application qu’il brigue. Je me désolidarise de l’ambition de Tim Brown, fort bien résumée à la fin de son livre : « Aujourd’hui, l’occasion nous est offerte (…) de donner libre cours à la puissance du Design Thinking (…) Dans ce processus, nous constaterons peut être (…) que nous avons enrichi notre vie en renforçant sa portée et en lui donnant davantage de sens. » Enfin, quelle que soit la qualité des techniques utilisées et malgré l’apport de quelques nouveautés, les bases méthodologiques du Design Thinking ressemblent davantage à un mix intelligent de méthodes existantes qu’à une vraie révolution méthodologique.
Serions-nous alors en train d’assister à une belle démonstration de la puissance du Storytelling ou peut être alors à celle de ses limites déontologiques ?
Les considérations critiques développées précédemment n’engagent que moi. Les partisans du Design Thinking formuleront probablement d’autres conclusions. Libre à chacun de se forger sa propre opinion. Le chapitre que j’y consacre dans mon livre blanc comme les sources de références que je propose devraient vous y aider.
Lina Alami
Lina Alami comment innover
Le design Thinking en 3 articles
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Design Thinking : deux outils d’évaluation de l’innovation
Design Thinking : comment le pratiquer pour innover ?