Innovation incrémentale et innovation radicale : comment les (ré)concilier ?

 

Auteur : Lina Alami

Réconcilier innovation incrémentale et innovation radicale

L’innovation radicale se moque, un peu trop souvent ces derniers temps, de l’innovation incrémentale ! Or, lorsque l’on n’est pas une startup, il est fort heureux de parvenir à performer sur les deux activités : l’innovation incrémentale pour faire vivre le présent de l’entreprise et l’innovation radicale pour préparer son futur.

En revanche, il est vrai que pour parvenir à mener de front innovation incrémentale et innovation radicale, les entreprises établies doivent s’organiser différemment pour contrebalancer l’effet naturel du focus sur le business actuel.

Des acteurs historiques centrés sur l’exploitation au détriment de l’exploration

Comment manager l'innovationIl serait facile d’émettre un jugement sévère face au constat que les entreprises établies innovent mais que les innovations qu’elles produisent manquent généralement de puissance sur le marché et qu’elles risquent ainsi de se faire dépasser par des nouveaux entrants à l’innovation plus radicale…

Or, ce phénomène est naturel et répond à la nécessité de toute entreprise existante de soutenir (d’abord) ses activités d’exploitation par de l’innovation incrémentale pour répondre à la demande de ses clients existants dès lors que sa taille l’oblige à maintenir un certain volume d’affaires pour faire face aux charges y afférant. En revanche, à concentrer toute l’énergie d’innovation de l’entreprise sur l’activité d’exploitation, les chances de produire une innovation à forte intensité qui ouvrirait le marché de l’entreprise ou la protègerait d’un nouvel entrant sont faibles. Ainsi, il est essentiel que les entreprises apprennent à distinguer et gérer les deux activités qui leurs permettront de conserver leur avantage concurrentiel par de l’innovation incrémentale mais aussi d’ouvrir le futur par de l’innovation plus radicale.

L’innovation radicale face à l’ultra-performance sur l’exploitation

Lorsqu’une entreprise performe dans son activité d’exploitation, cela traduit tout à la fois de la maitrise et une réelle adaptation de l’organisation (process optimisés et stabilisés, compétences d’experts).

Cette configuration peut induire un double handicap au regard de l’innovation radicale. En effet, plus l’entreprise est hyper-adaptatée à l’activité d’exploitation :

  1. plus il lui devient difficile d’innover avec intensité puisque les process se sont stabilisés et que les profils et compétences se sont concentrés sur une expertise.
  2. plus il lui est difficile de réagir face à l’arrivée d’une rupture sur son marché puisque l’innovation déstabilise l’organisation.

Ainsi, les entreprises les plus performants sur la tradition de leur secteur s’exposent plus facilement à des risques qui peuvent être lourds de conséquences face à l’arrivée d’une innovation de rupture sur leur marché : ce qui fait la performance d’un acteur historique et qui représente ses forces devient alors un véritable danger.

Activité d’exploitation  vs activité d’exploration

L’activité d’exploitation s’appuie sur le présent et l’optimisation de la performance de l’existant

Le processus d’innovation utilisé sur cette activité est traditionnellement mené par la conception réglée et travaille par définition sur une identité des Objets stables, des cibles clients définies, des spécifications fonctionnelles fixées et des valeurs identifiées. Elle produit ainsi de l’innovation incrémentale.

La conception réglée est efficiente en innovation pour améliorer la performance du cœur du métier de l’entreprise, pour l’adapter au marché qu’elle connaît et à la demande des clients qu’elle est en mesure d’appréhender. Il s’agit de l’innovation des études marketing, des spécifications fonctionnelles fixées, des cahiers des charges, d’une réponse à un besoin client identifié.

L’activité d’exploration cherche à construire le futur ou le ‘à coté’

Comment innover conception reglee conception innovanteElle constitue  l’activité reine de toutes les jeunes entreprises leur permettant de produire l’Idée et les innovations radicales qui inquiètent la concurrence. L’innovation dans cette activité d’exploration est menée (consciemment ou inconsciemment) par le processus de conception innovante piloté par le potentiel de valeur, l’exploration ouverte de champs de Connaissances à acquérir, le raisonnement créatif, l’expérimentation et l’apprentissage de l’inconnu.

Au prix de ces défis exploratoires, les nouveaux entrants deviennent les concurrents des plus grands en créant de nouvelles valeurs business et utilisateurs inattendues.

Cette activité n’est pourtant pas réservée aux jeunes entreprises. De plus en plus de grandes entreprises se l’approprie et les entreprises de tailles intermédiaires commencent à s’y intéresser.

Conception réglée ou conception innovante ?

Afin de déterminer son choix méthodologique et la stratégie d’innovation à déployer, trois questions doivent se poser en distinguant activités d’exploitation et d’exploration, innovation incrémentale et innovation radicale.

1/ Quelles sont les ambitions de l’entreprise vis-à-vis de l’innovation ?

Une première étape consiste en effet à s’interroger sur les ambitions de l’innovation incrémentale d’une part et radicale d’autre part. Distinguer l’activité d’exploitation de l’activité d’exploration facilite la prise de position. Libéré du risque de perdre de vue le business actuel, l’entreprise peut alors s’autoriser à explorer de nouvelles perspectives.

2/ Quelle intensité d’innovation la direction souhaite viser ?

Ensuite, sur chacune des deux activités, positionner les curseurs d’intensité de l’innovation (faible vs élevée) permet de clarifier les ambitions afin d’y mettre en face les moyens nécessaires pour les atteindre. A cette étape, l’introduction de la distinction entre radicalité et rupture peut être d’une aide précieuse pour donner la direction à suivre.

3/ Quels processus d’innovation utiliser pour quelles ambitions visées ?

Pour les ambitions d’innovation qui ne dépassent pas l’activité d’exploitation de l’entreprise, le territoire de l’offre actuelle, les processus de conception réglée connus et  maîtrisés par l’organisation de l’entreprise et son écosystème sont en générales suffisamment performants pour produire ces innovations incrémentales en soutien de l’activité.

En revanche, pour les ambitions d’innovation plus radicale aux enjeux forts de création de valeur comme pour les innovations qui flirtent avec les domaines d’activités stratégiques de l’entreprise ou le territoire concurrentiel, il faudra s’organiser en conception innovante.  L’innovation s’intéressera alors à l’identité de l’Objet, à la révision du modèle et des processus. Dans ce cas, la conception réglée ne pourra pas produire l’intensité d’innovation nécessaire à cette ambition. En effet, comment imaginer et concevoir quelque chose qui n’existe pas encore avec une gestion de l’innovation qui prédit le résultat avant d’avoir commencé le processus d’innovation ?  

Une fois ce travail d’alignement des ambitions réalisés, on peut commencer à définir sa vision stratégique, organiser et sponsoriser la culture de l’innovation et se lancer dans sa conception. 

Lina Alami

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